Testata


De la revue - Science et Foi - n° 54, 4° trimestre 1999

HISTORICITÉ DU PÉCHÉ ORIGINEL

Père André Boulet sm.

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NDLR: il s’agit du résumé de la conférence donnée par le Père André Boulet, lors du colloque du CESHE, des 18 et 19 septembre 1999 à Montmartre.
"L’Église qui a le sens du Christ, sait qu’on ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au mystère du Christ" (CEC 389).
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PRÉLIMINAIRES

La question qu’il m’a été demandé de traiter n’est pas seulement l’objet d’un débat académique entre théologiens et exégètes. Elle concerne le statut de l’homme actuel. Ignorer la réalité d’une faute des origines entraîne une conception de la manière de vivre, de la morale (individuelle et sociale), profondément différente de celle qu’impose la foi en l’historicité de ce péché des origines et en la réalité d’une blessure de la nature humaine consécutive à ce péché.


Précision de vocabulaire: l’expression "péché originel" est équivoque. En effet, elle est employée pour parler du péché commis par Adam et Eve, mais aussi pour parler de la blessure de la nature humaine, conséquence de ce péché d’Adam et Eve. Dans cette communication, j’emploierai l’expression "péché des origines" pour parler du péché de nos premiers parents, et l’expression "péché originel" pour parler de la blessure de la nature humaine consécutive au péché des origines.

Cette blessure de la nature humaine consiste en ces tendances désordonnées qui s’appellent l’orgueil, la jalousie, la luxure, la cupidité... Le refus de toute dépendance, etc. Ces tendances désordonnées sont constatables chez tout être humain, dès son enfance. Paul VI appelle cette blessure de la nature humaine: "La maladie congénitale de l‘espèce humaine", et il affirme que la faute originelle commise par Adam "a fait tomber la nature humaine commune à tous les hommes dans un état où elle porte les conséquences de cette faute et qui n’est pas celui où elle se trouvait d’abord dans nos premiers parents, constitués dans la sainteté et la justice et où l’homme ne connaissait ni le mal ni la mort" (Profession de foi, juin 1968).

PLAN DE CETTE CONFÉRENCE

1. Les affirmations de la Bible, de la Tradition, du Magistère

2. L’enseignement des théologiens actuels

3. Raisons du désaccord entre l’enseignement du Magistère et celui des théologiens. Sous l’influence de quoi ? de qui ?

4. Conséquences multiples et graves de la négation de l’historicité du péché des origines.


1. Les affirmations de la Bible, de la Tradition, du Magistère.

La BIBLE
Les textes sont bien connus. Ce sont principalement, dans l’A.T., le chapitre 3 du Livre de la Genèse, et, dans le N.T., le chap.5 de l’Ep. Aux Romains, spécialement les v. 12 à 20. Mais aussi 1 Cor 15, 21-22 et Sagesse 2,24: "C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde".

LA TRADITION
Les Pères de l’Église, dans leur quasi totalité, ont cru et enseigné la réalité historique d’une faute des origines commise par Adam et Eve et en la réalité d’une blessure de la nature humaine. Saint Thomas d’Aquin, au 13e siècle, héritier de toute cette tradition, ne met en doute ni l’historicité d’un péché personnel de nos premiers parents, ni la réalité d’une blessure de la nature humaine. Comme tous les Pères de l’Église, il fait une lecture quasi littérale des premiers chapitres de la Genèse. (cf. S. Théol. IIa IIae Q.163)

LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE
Là encore, les textes abondent, proposés le plus souvent dans le cadre de l’un ou l’autre des grands Conciles oecuméniques, et repris dans le Catéchisme de l’Église Catholique (1992).
Parmi ces textes, en voici deux, cités dans le CEC:

- "Établi par Dieu dans un état de sainteté, l’homme, séduit par le Malin, dès le début de l’histoire, a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu" (CEC 415)
- "Par son péché, Adam, en tant que premier homme, a perdu la sainteté et la justice originelles qu’il avait reçues de Dieu non seulement pour lui, mais pour tous les hommes." (CEC 416)

2. L’enseignement des théologiens, depuis une trentaine d’années

Dans leur quasi totalité les théologiens actuels (de pays francophones) ne croient pas à la réalité historique du péché des origines. Ils ne croient pas qu’Adam et Eve, à un moment précis du temps, ont succombé à la tentation de Satan et ont commis une faute grave de désobéissance par orgueil. Ils ne croient pas non plus que, depuis cette faute et en conséquence de celle-ci, tous les hommes naissent avec une nature blessée, et sont enclins au mal. Ils ne croient pas davantage que la mort est une conséquence de cette faute des origines, de même que tous les maux dont l’homme souffre depuis des millénaires. On n’en finirait pas de citer des extraits des oeuvres de ces théologiens. J’ai fait le travail, avec l’aide d’une bonne secrétaire, de mettre en parallèle des textes du Magistère de l’Église et des textes de théologiens connus[1] sur le sujet qui nous occupe. Je n’en lirai qu’un petit nombre. J’ajoute que cet enseignement des théologiens actuels s’accompagne de la négation, plus ou moins explicite, de la réalité d’une tentation par le démon, voire de l’existence même du démon.


3. Raisons de ce désaccord entre l’enseignement de l’Église et celui des théologiens.

Les causes lointaines
- Une dérive de la pensée, très ancienne, bien repérable au 14ème siècle en la personne de Guillaume D’Occam (philosophe anglais, franciscain, né à Ockham), l’un des plus importants théoriciens du "nominalisme". Il nie la réalité des "essences".
- La philosophie des lumières, au 18ème siècle, y ajoutera le culte de la raison et de la science seules voies d’accès à la vérité en toutes choses. Cf. la profession de foi de François Raspail: "...à la science, hors de laquelle tout n’est que folie, à la science, unique religion de l’avenir..." (Inscription sur le socle de la stèle dédiée à Raspail, place Denfert- Rochereau, Paris 14ème.)

Depuis le début du 20ème siècle
Il me semble que l’une des principales raisons du désaccord entre la pensée de l’Église et celle des théologiens vient de ce que les théologiens de ce 20ème siècle ont cru de plus en plus fortement que la théorie évolutionniste était une vérité scientifique établie. Ils l’ont cru, avec une certaine bonne foi, car le monde des scientifiques l’affirmait avec de plus en plus de (prétendues) preuves et d’assurance. Comment ne pas les croire sans passer pour rétrograde? Or la théorie évolutionniste affirme que l’intelligence humaine, ainsi que la conscience réfléchie et la pleine liberté ne sont apparues qu’après une lente "hominisation". Autrement dit, que les premiers hommes, émergeant de l’animalité (leurs ancêtres étant des primates de l’espèce australopithèque), n’avaient pas la conscience et la liberté qui leur auraient permis de commettre une faute grave. Les théologiens ont donc fini par penser que les textes de la Genèse sur la création des êtres vivants n’avaient aucune valeur scientifique et n’apportaient aucune information sur la façon dont les premiers hommes étaient apparus sur terre, ni sur leur statut. A l’exégèse traditionnelle de ces textes, on en a donc substitué une autre, "historico-critique", qui classe Gn. 1 à 3 dans un genre littéraire apparenté aux mythes des cultures antiques.

Le récit biblique, selon cette exégèse, veut seulement exprimer la "finitude" de l’homme actuel et de toujours, enclin à la violence et aux désordres de toutes espèces du fait qu’il est le descendant d’animaux dont les découvertes paléontologiques ont révélé les moeurs belliqueuses. Et si St Paul, dans Rom. 5, parle de la désobéissance d’Adam par laquelle la mort est entrée dans le monde, c’est parce qu’il ignorait tout des découvertes scientifiques de notre 20ème siècle et de l’exégèse "scientifique" qui s’est imposée. Ce n’est pas mon sujet de discuter de la valeur de la théorie évolutionniste, sous sa forme néodarwiniste, dite théorie synthétique de l’évolution. Je me contenterai de dire, non sans une assez bonne connaissance du dossier scientifique, qu’aucune des prétendues "preuves" de l’évolutionnisme ne me paraît convainquante pour l’esprit et que, par contre, des faits sérieusement vérifiés (relevant de la paléontologie, la stratigraphie, la radiochronologie, la biochimie...) sont des objections difficilement réfutables à la validité de la théorie de l’Évolution. On ne peut plus, lorsqu’on connaît bien le dossier scientifique de l’évolutionnisme, affirmer que l’Évolution (filiation des espèces à partir d’organismes primitifs très simples...) est un fait établi. Quoiqu’il en soit, je ne vois pas comment on peut être évolutionniste, même théiste, et croire à la réalité historique du péché originel.

J’ajouterai que si tant de chrétiens cultivés, notamment de théologiens, d’exégètes, de scientifiques ont fini par préférer faire confiance aux enseignements de la science plutôt qu’à ceux de l’Église et de son Magistère, c’est, à ce qu’il me semble, parce qu’ils respirent l’air d’une société qui est en quelque sorte "malade du SIDA". Une société qui a beaucoup perdu de ses capacités de se défendre contre la double agression des erreurs philosophiques, théologiques, morales... et de la licence morale, la dégradation des moeurs.


L’influence de Teilhard de Chardin
Le "penseur" qui, me semble-t-il, a le plus contribué à convaincre des théologiens et d’innombrables chrétiens qu’il fallait être évolutionnistes et lire les textes de la Genèse d’une manière nouvelle concordante avec la théorie de l’évolution, c’est Teilhard de Chardin. Gustave Martelet, théologien réputé qui, depuis 30 ans propage la théologie nourrie d’évolutionnisme, se présente loyalement comme le disciple de Teilhard et le continuateur de sa pensée. Tous les autres théologiens que j’ai cités partagent largement la vision teilhardienne. Que les oeuvres de Teilhard aient fait l’objet de la part du Saint-Siège d’un "monitum" très sévère ne les gêne pas du tout.
Le grand théologien suisse Charles Journet (nommé cardinal par Paul VI) a posé un diagnostic très sévère sur l’œuvre de Teilhard. (cf. Annexes III, appendice II de mon livre "Création et Rédemption", CLD 1993). Voir ci-joint annexes: Teilhard de Chardin. Divers.

4. Conséquences de la négation de l’historicité du "péché des origines" et de la réalité ontologique du "péché originel".

Je l’ai dit en commençant, nier l’enseignement de la Révélation divine sur le péché originel n’est pas de minime importance. Ce sont des pans entiers de la foi chrétienne qui sont jetés à terre. "On ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au mystère du Christ" (CEC 389).


Une crise de l’exégèse. La négation du péché originel a favorisé une crise de l’exégèse. Pour faire concorder le néodarwinisme avec le texte si clair de Genèse 3, on en est arrivé à fabriquer une nouvelle méthode exégétique qui, en définitive, nie les affirmations de la Bible ou les vide de leur contenu. Et on ne s’est pas limité à la Genèse, c’est le Nouveau Testament aussi, les Évangiles très particulièrement, qui sera soumis à ce traitement, avec Bultmann et ses épigones: les miracles rapportés par Mt, Marc, Luc, Jean... ne sont pas des faits réels mais des récits inventés par les premières communautés chrétiennes pour dire leur foi en Jésus, Christ, ressuscité, toujours vivant, très puissant, etc.

Une idée fausse de Dieu. Selon les évolutionnistes qui se disent théistes et même chrétiens, s’il y a des désordres, de la souffrance, la mort et le mal dans notre monde, ce n’est pas en raison d’une faute grave du premier couple humain, mais parce que l’apparition des premiers hommes s’est faite selon le processus évolutionniste d’une très lente montée de la vie à partir d’organismes très simples, par complexification croissante, jusqu’à l’Homo Sapiens. Par le fait même que Dieu crée toutes choses selon un tel processus il y aura des désordres, de la souffrance, la mort dans le monde. En définitive, le grand responsable du mal, des souffrances, et de la mort dans le monde, ce n’est pas Satan ni l’homme qui a fait confiance à Satan plutôt qu’à Dieu, mais c’est Dieu lui même! On ne peut pas donner une idée plus fausse de Dieu que celle-là! C’est le plus énorme des mensonges du démon. La vérité est toute autre: "C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde" (Sagesse 2,24). Dieu est totalement innocent du mal et de la mort.

Une idée fausse de l’homme. La négation du péché des origines et de la blessure consécutive à cette faute conduit à une vision fausse de l’homme. Selon cette vision, l’homme n’est pas vraiment responsable des désordres et des souffrances qui découlent de ses actes. La cause profonde (selon Teilhard et ses disciples) c’est "la condition radicale qui a fait naître (l’homme) à partir du multiple, toujours portant en ses fibres... une tendance à retomber sur le bas, dans la poussière."

Rousseau, pour déculpabiliser les hommes, fauteurs de troubles, a lancé l’idée que l’homme, par nature, est bon; c’est la société qui le corrompt. Teilhard, avec sa vision évolutionniste des choses a trouvé encore plus pernicieux. D’autant plus qu’il pense que par la vertu de la sève évolutive en travail dans le monde, tous les désordres et le mal finiront par être éliminés. L’œuvre rédemptrice du Christ, les sacrements du salut de l’homme n’ont plus ce rôle premier, indispensable, que l’Eglise leur a toujours reconnu. On entrevoit les conséquences d’une telle conception dans l’organisation de la vie en société, l’administration de la justice, la vie politique en général. On assiste à un envahissement par des idéologies ou des "méthodes", venant d’horizons divers, pour sauver l’homme et lui assurer le bonheur, tandis que sont délaissés les moyens de Salut et de Rédemption offerts par le Christ, seul Sauveur.

La substitution d’un "messianisme de la science" à celui de Jésus-Christ. Il existe de nos jours une idolâtrie de l’homme et de ses oeuvres, comme le prophète Isaïe l’avait déjà constaté en son temps: "Ils se prosternent devant l’œuvre de leurs mains". Isaïe 2,8

Négation de l’existence du démon. Le démon n’est plus nécessaire pour expliquer les désordres du monde, les souffrances et la mort de l’homme. La "condition radicale qui fait naître l’homme à partir du multiple" y suffit! Inutile de dire que les guerres, les violences, les meurtres, etc... sont indéchiffrables si l’on refuse de croire que, dans les coulisses de ces drames, il y a celui que Jésus dénonce comme le "menteur", "homicide dès le commencement". (Jn 8,44)

Remarque
Ce ne sont pas seulement l’exégèse et la théologie qui sont contaminées par la négation du péché originel découlant de l’idée évolutionniste. C’est aussi la philosophie, car l’idée évolutionniste implique la négation des concepts d’essence et de nature. C’est la réalité de "la nature humaine" elle-même qui est niée. Il n’y a pas d’essence de l’Homme. Il y a des hommes particuliers qui ne cessent d’évoluer vers des formes nouvelles d’êtres vivants. Ainsi, des notions fondamentales de la "philosophie de l’être et du réel", auxquelles l’Église a eu recours pour formuler sa dogmatique, sont éliminées.


CONCLUSION

Le but de cette conférence n’était pas de vous faire croire que la théorie évolutionniste est erronée, mais de vous montrer que, actuellement et depuis plus de trente ans, l’enseignement des théologiens sur le péché originel, répercuté largement dans la catéchèse, contredit celui de l’Église et de son Magistère et qu’il a des effets nocifs pour la foi chrétienne comme pour la vie de la société humaine en général. J’ai la conviction, fondée sur une sérieuse connaissance du dossier évolutionniste, que la diffusion (à grand renfort d’émissions de télévision, d’interviews de paléontologues, etc...) de la théorie évolutionniste est une des grandes causes des errements, indéniables, des exégètes et des théologiens d’aujourd’hui.

Je me fais un devoir de le dire clairement. Mais vous n’êtes pas obligés de vous rallier à mon jugement sur l’évolutionnisme ni au reproche que je lui fais d’être l’un des grands responsables de la crise de la théologie et de l’exégèse. Du moins, je souhaiterais vous avoir convaincus que vous ne pouvez pas rester sans protester quand vous lisez ou entendez dire que l’Église reconnaît maintenant qu’il n’y a pas eu de péché des origines et que la doctrine du "péché originel" est périmée. Une telle affirmation est tout à fait fausse et lourde de conséquences. Un chrétien ne doit pas avoir honte de la doctrine traditionnelle du péché originel, révélée par Dieu Lui-même. Au contraire, il doit en accueillir avec joie la lumière pour sa vie et la rayonner autour de lui. Un dernier mot. Il va sans dire qu’en critiquant, parfois nommément, des théologiens acquis à l’évolutionnisme, je ne veux en aucune façon, faire croire que leurs écrits, sur de multiples sujets, sont dénués de toute valeur.


[1]- les teologues dont je cite des témoins sont principalement: F. Varone; Pierre Gibert; Étienne Charpentier; Gustave Martelet; Jacques Bur; Théodule rey-Mermet. J'ai cité même Teilhard de Chardin, bien que il ne soit pas théologue. Le Père Varrilon, même il, était autoconvaincu de la vérité de l'evoluzionisme.

Ceshe 1999 -