Testata


De la revue Science et Foi - n° 43 - 1997

QUE VAUT UNE SCIENCE DES ORIGINES ?

Dominique TASSOT

Pour nombre de nos contemporains, il va de soi que la science apporte une réponse sur la question des origines : origine de l'homme, origine de la vie, origine de la terre ou du système solaire, etc... Il n'est que de lire les grands titres de la presse de vulgarisation scientifique pour s'en persuader. Mais que vaut ce discours de la science, que vaut cette prétention à rendre caduques les indications de la Genèse?

Il y a 323 ans, le philosophe Nicolas Malebranche, après avoir lu avec enthousiasme le Traité du Monde de Descartes, signalait déjà le danger d'une confiance aveugle dans les scientifiques: "Il semble à propos de dire ici quelque chose des chimistes, et généralement de tous ceux qui emploient leur temps à faire des expériences. Ce sont des gens qui cherchent la vérité: on suit ordinairement leurs opinions sans les examiner. Ainsi leurs erreurs sont d'autant plus dangereuses qu'ils les communiquent avec plus de facilité."(1) .

Il en va toujours ainsi. Notre science n'est plus la science de Descartes, même si elle a retenu certains traits durables de sa méthode, mais la situation reste inchangée: l'homme de la me croit en confiance ce que lui présente l'homme de science. Ne disposant pas des éléments pour le discuter il ne peut que refuser ou accepter un discours intangible.
En fin de compte, c'est argument d'autorité qui décide de tout. Le plus puissant, le plus souvent avance est celui du consensus suppose entre les savants. On l'a vu à l'œuvre dernièrement, dans l'allocution pontificale sur la théorie de l'évolution. Ce fut encore le consensus des radiocarbonistes qui entraîna l'assentiment du Cardinal Ballestrero à la datation médiévale du Linceul de Turin. C'était déjà le consensus des géologues qui convainquit le Père Lagrange de devoir relativiser le récit de la Genèse.

Or le consensus des spécialistes est sujet à basculer. Pendant cinquante ans, Wegener, avec sa dérive des continents, fut la risée des géographes. Aujourd'hui on l'admet sans discussion, et Xavier Le Pichon reçut un prix Nobel pour en avoir expliqué le mécanisme par la "tectonique des plaques". Car le consensus n'est pas un produit de la raison, mais un réflexe sociologique: il marque et conditionne l'entrée dans la communauté des spécialistes. Les médecins de Molière ne sont pas les seuls à devoir chanter : "Dignus dignus est intrare in nostro docto corpore".

Nous ne critiquerons pas ici cette tendance au consensus. Comme le remarquait Auguste Comte: "Le dogmatisme est l'exercice normal de l'intelligence humaine, celui vers lequel elle tend, par sa nature, essentiellement et dans tous les genres, même quand elle semble s'en écarter le plus". (2)

Encore faut-il en tirer les conséquences. La pensée collective n'existe pas. Il s'agit d'un mythe maoïste ou plutôt d'une technique destinée à déclencher l'autoaccusation chez les esprits récalcitrants. L'homme est un être social, et tend naturellement à s'identifier au groupe. Le savant fait de même, à son échelle, et le fameux consensus finit par reposer sur un petit nombre de têtes qui "font autorité", c'est-à-dire celles dont on accepte en confiance les options. Mais tout homme est faillible; le maître l'est aussi, plus subtilement, mais d'autant plus peut-être qu'il n'a pas à vaincre la même résistance de la part de ses pairs. Aussi devons-nous garder en mains les outils d'une saine critique, outils dont Dieu a doté l'homme de la rue comme le spécialiste: le bons sens et la logique. Au siècle dernier, Laplace voyait l'origine du système solaire dans une nébuleuse qui refroidissait en se contractant. Après l'univers stationnaire d'Einstein et de Hoyle, le consensus s'est tourné aujourd'hui vers un univers en expansion. Devant cette variabilité des thèses, laquelle croire? On s'illusionnerait d'imaginer que la dernière en date l'emportera durablement. Des livres entiers paraissent déjà

pour contester le Big-bang !... On peut seulement affirmer que la masse des faits et arguments contraires n'a pas encore atteint l'état de cohérence nécessaires pour provoquer le basculement. Mais plutôt que de "croire au Big-bang" en attendant la théorie qui viendra le détrôner, ne serait-il pas urgent de ne plus croire, tout simplement, de cesser de confondre les évidences toujours relatives de la science avec les certitudes dont notre esprit a besoin pour se nourrir ?...

Je crois, écrit Pascal, les témoins qui se font tuer. Or personne n'est jamais mort pour défendre une thèse scientifique. Galilée s'est platement rétracté. Buffon fit de même lorsque la Sorbonne condamna son estimation de l'âge de la terre. Même les adversaires de Lyssenko, déportés au Goulag, ne choisirent pas délibérément leur sort comme le font les martyrs. La prudence nous invite donc à mettre à l'épreuve du bon sens les thèses aventureuses que des hommes de science avancent avec la prétention de répondre ainsi à la question des origines.

Il n'y a de science que du général, or les événements originels, tel l'apparition de la vie, sont des événements uniques. L'affirmation sans preuves qu'il y a des millions d'univers parallèles, afin de rendre la chose plus probable, devrait encore augmenter notre suspicion: plus la thèse devient fantasmagorique, moins elle se rend crédible! Certes la science des événements uniques existe: c'est l'Histoire. Mais elle repose sur une méthode, la convergence des témoignages. Or dans le cas présent, on cherche en vain les témoins. Les vestiges du passé n'en tiennent pas lieu: ce sont autant de faits bruts qui demandent à être interprétés. Nous savons par l'Ecriture qu'un jour "les pierres crieront" (Luc, 19: 40); mais, pour l'heure, ne prenons pas leur silence pour un acquiescement aux théories aventureuses qui les "font parler". Le premier réflexe de la science devrait consister à rechercher toujours plus de faits probants et minimiser la part des déductions théoriques. C'est exactement le contraire ici: en astrophysique comme en "évolution", les considérations théoriques sont exacerbées pour pallier la minceur des données.

Car les faits ne se démontrent pas: ils se constatent. Il faut en établir la réalité objective par la multiplication des expériences et des observations. Or pas un seul fait d'évolution progressive, pas une seule apparition d'organe nouveau n'ont jamais été constatés. Cette carence totale après deux siècles de théories évolutionnistes donne à elle seule la preuve évidente qu'il ne s'agit pas de vraie et saine science. Est-ce à dire que nous devons renoncer à connaître ici-bas le récit de notre origine, qu'il nous faut vivre dans un brouillard opaque, ignorant d'où nous venons, comme où nous allons ?... Certes non. Mais à une condition: laisser comparaître le témoin.

Car il y avait un témoin, et ce témoin condescend à parler le langage des hommes pour ne pas les priver d'une information irremplaçable. Et son témoignage s'est transmis à travers les générations avec un soin extrême, d'Adam à Noé, puis de Noé à Moïse. Et le voici, traduit dans toutes les langues, et à disposition de tous les cœurs simples qui ne dédaignent pas d'interroger le Créateur pour connaître la créature. Que penser en revanche d'une démarche scientifique laquelle, non content de négliger cet unique témoin de l'événement unique, fait de ce refus un principe? Qu'en penser donc, sinon que cette prétention reproduit la révolte de Lucifer, comme le péché d'Adam: volonté de prendre soi-même ce qui doit être reçu de Dieu, refus de toute dépendance et du devoir de reconnaissance qui lui est attaché.

Mais, selon le mot de Marcel Francis: "si l'homme est libre de choisir ses idées, il n'est pas libre d'échapper aux conséquences des idées qu'il a choisies". La science évolutionniste, est condamnée à rejeter le sens logique en même temps que le surnaturel. Elle est donc vouée à la contradiction et à l'impuissance. Comme l'écrivait si bien Béchamps: "On suppose toujours et de supposition en supposition on finit par conclure sans preuve"(3). Est-ce devant ce fantasme qu'il faudrait abandonner les certitudes de la foi?

1 - Malebranche, La recherche de la vérité (1674), in Œuvres, Paris, Gallimard, 1979, p.240.
2 - A Comte, Considération sur le pouvoir spirituel!, Ecrits de jeunesse (1816-1828 p 28) Pans-La Haye, Mouton, 1970, p. 385
3 - A. Béchamps, Sur l'état présent des rapports de la science et de la religion au sujet de l'origine des êtres vivants organisés, Lille, Quarte, 1877, p. 9

Ceshe 1999 -